Cette goutte je l'ai atteinte. Ce n'est donc pas un événement particulier mais l'accumulation permanente et continue d'une enième petite remarque, méchanceté, parole ou acte qui font que j'ai décidé de mettre un terme à l'aventure en Haiti et de revenir passer les fêtes de Noël en famille auprès des gens que j'aime.
Je veux citer quelques exemples, pas seulement pour me justifier, mais car ce sont également des situations représentatives de ce qu'est Haiti et qui rentrent donc dans le cadre de mes articles.
Etant le seul blanc (avec David) dans une communauté essentiellement noire et à des kilomètres à la ronde, il était courru d'avance que je ne passe pas inapercu. Je ne prend pas en compte les gens des ONGs et de l'ONU car je n'en ai jamais vu sur le terrain mais uniquement derrière les vitres de leurs 4x4 blancs. Dès lors, quand on se promène en bord de route ou en ville, on sent constamment les regards peser sur nous, regards plutôt méfiants, fermés. Dans le carrefour où se trouve la maison, il m'a fallu un long moment et de nombreux "Bonjour !" et "Bonsoir !" accompagnés d'un large sourire pour finalement obtenir le même sourire en rétour. Partout en dehors de cette communauté, les haitiens t'interpellent plutôt en lançant un sonnant "Hey you !" ou le fameux "Hey blanc !". Jamais dans le but de discuter avec toi ou pour te faire signe en souriant (à part les enfants), mais pour te demander de l'argent ou à manger. Et ce ne sont pas des mendiants mais des personnes bien portantes comme vous et moi, en général plutôt jeunes car n'ayant pas peur de demander cela. Le problème est que les enfants imitent ce comportement par jeu (et aussi par intérêt car ça doit fonctionner je pense) sans que personne ne perçoive à la fois les déductions bancales que cela va créer dans leur esprit et les conséquences néfastes engendrées sur l'image du pays aux yeux des touristes. Ceci peut également être un des effets pervers induits par les ONGs qui à force de donner des biens à la population (dont pour la plupart elle n'a pas besoin) l'ont ainsi rendu passive et attentiste.
Dès lors, il est difficile d'établir un réel dialogue ou contact avec les locaux car au bout du compte ils attendent quelque chose de votre part, que vous leur donniez quelque chose. Pourquoi vous seriez là sinon ?
Ainsi, on a vu un homme au ventre proéminent de presque deux fois mon poids demandé qu'on lui offre à diner. Pendant la formation des leaders, une des candidates m'a dit de lui donner ma montre (que l'on s'entende, pas demander, elle a dit "donne-moi ta montre"). En visitant des gens dans la communauté, une femme m'a demandé si j'avais de la crème solaire pour que je la lui donne car les haitiennes n'aiment pas avoir la peau noire foncée. En sortant faire des photos de nuit au bord de la route durant 15 minutes, trois enfants différents m'ont demandé de leur donner de l'argent. Bref, des exemples comme ça, j'en ai pleins. Et si vous refusez, vous avez droit à un regard dédaigneux ou êtes traités de radin.
Mais si ce n'était que ça, j'aurais fait l'impasse car ces situations restent plutot faible en pourcentage. Ce qui me dérange le plus c'est la violence qui se dégage des contacts entre les personnes, de leur dialogue, de la manière de régler leurs querelles. La façon de parler est brutale, le ton sec et la voix toujours élevée donnant souvent l'impression que les gens s'engueulent alors que ce n'est pas le cas. Une fois, David a eu un problème avec un chauffeur de moto-taxi et en en parlant avec nos voisins j'ai cru que ceux-ci étaient très furieux contre David alors qu'en fait ils étaient de son côté.
Sinon, ici, la manière usuelle de régler une dispute est de prendre une pierre en main pour intimider son opposant et très souvent de la lui lancer. C'est comme ça.
Ainsi, lorsque un jour David a voulu s'interposer pour éviter qu'une femme et sa nièce ne battent la petite soeur de cette dernière, la nièce lui a lancé une grosse pierre l'atteignant à la cheville et lui faisant une blessure profonde. Pourtant ces gens sont ses amis depuis plus de 2 ans ! Et de surcroit, ils n'ont jamais voulu s'excuser. Pour leur signifier que j'étais outré de ce comportement, j'ai donc décidé de ne plus adresser la parole à ces personnes (excepté la politesse de salutation minimum). Les autres enfants n'ont pas du tout compris mon action car pour eux la réaction de cette fille jettant cette pierre était "normale". Je dirais même qu'ils trouvaient cela rigolo puisqu'ils venaient à la maison se moquer de David qui, pour eux, s'était fait "battre" (c'est le terme général utilisé) par une fille.
Mais cela est moins étonnant quand on sait que ces enfants sont également battus par leur mère quand ils font des bêtises ou ramènent de mauvaises notes de l'école. J'ai d'ailleurs eu droit à une présentation des divers cicatrices de chacun après l'une ou l'autre des querelles les ayant opposés (avec leur maman ou entre frères et soeurs). Une cicatrice à la jambe due à un coup de baton pour l'un, une même laissée par un jet de pierre mais à la tete pour un autre, une encore mais au bras lorsque sa soeur l'a mordu jusqu'au sang...
C'est ce genre d'actes commis ou acquiescés par les adultes sur les enfants qui inculquent à ceux-ci de telles valeurs et banalisent la violence à leurs yeux. Fondamentalement, les enfants n'y peuvent rien, ce n'est pas leur faute. L'esprit d'un enfant est comme une feuille blanche. On y peint à l'indélébile ce que l'on veut, du bon ou du mauvais. Ils reproduisent ce qu'ils voient et ce qu'on leur fait. Mais ça les marque. Et quand ils viennent vous serrer dans leurs bras lorsque vous leur rendez visite, vous comprenez qu'il y a un soucis. Heureusement, les manuels scolaires d'éducation civique actuels expliquent des manières respectueuses d'être et agir dans différentes situations.
Tout ça pour dire que j'ai donc été particulièrement attentif dans ma manière d'être avec eux pour essayer de paraitre gentil et cohérent dans mes actes. Mais lorsque vous jouez joyeusement une après-midi avec ou que vous leur soignez une blessure due à une nouvelle altercation et que le lendemain et les jours qui suivent ils vous affublent sans raisons de noms d'oiseaux et d'autres petites remarques méchantes (même si la plupart sont sur le ton de la rigolade), cela vous fait clairement déchanter.
Ainsi, à force d'accumuler les déceptions, les remarques, les regards, les demandes incessantes, les paroles et les gestes violents, un jour le vase est plein et on sature. Je suis en effet venu en Haiti pour voir la réalité du terrain par rapport à l'image renvoyée par les médias, apprendre, découvrir, aider si je le pouvais. J'ai vu, j'ai appris, mais je n'ai aucune mission, rien qui ne me retienne ici, surtout pas pendant les fêtes de Noel alors que je pourrais être en famille et avec mes amis plutot qu'avec cette famille qui acquiesce de la violence pour "éduquer" les enfants comme initialement prévu.
Mais cela est moins étonnant quand on sait que ces enfants sont également battus par leur mère quand ils font des bêtises ou ramènent de mauvaises notes de l'école. J'ai d'ailleurs eu droit à une présentation des divers cicatrices de chacun après l'une ou l'autre des querelles les ayant opposés (avec leur maman ou entre frères et soeurs). Une cicatrice à la jambe due à un coup de baton pour l'un, une même laissée par un jet de pierre mais à la tete pour un autre, une encore mais au bras lorsque sa soeur l'a mordu jusqu'au sang...
C'est ce genre d'actes commis ou acquiescés par les adultes sur les enfants qui inculquent à ceux-ci de telles valeurs et banalisent la violence à leurs yeux. Fondamentalement, les enfants n'y peuvent rien, ce n'est pas leur faute. L'esprit d'un enfant est comme une feuille blanche. On y peint à l'indélébile ce que l'on veut, du bon ou du mauvais. Ils reproduisent ce qu'ils voient et ce qu'on leur fait. Mais ça les marque. Et quand ils viennent vous serrer dans leurs bras lorsque vous leur rendez visite, vous comprenez qu'il y a un soucis. Heureusement, les manuels scolaires d'éducation civique actuels expliquent des manières respectueuses d'être et agir dans différentes situations.
Tout ça pour dire que j'ai donc été particulièrement attentif dans ma manière d'être avec eux pour essayer de paraitre gentil et cohérent dans mes actes. Mais lorsque vous jouez joyeusement une après-midi avec ou que vous leur soignez une blessure due à une nouvelle altercation et que le lendemain et les jours qui suivent ils vous affublent sans raisons de noms d'oiseaux et d'autres petites remarques méchantes (même si la plupart sont sur le ton de la rigolade), cela vous fait clairement déchanter.
Ainsi, à force d'accumuler les déceptions, les remarques, les regards, les demandes incessantes, les paroles et les gestes violents, un jour le vase est plein et on sature. Je suis en effet venu en Haiti pour voir la réalité du terrain par rapport à l'image renvoyée par les médias, apprendre, découvrir, aider si je le pouvais. J'ai vu, j'ai appris, mais je n'ai aucune mission, rien qui ne me retienne ici, surtout pas pendant les fêtes de Noel alors que je pourrais être en famille et avec mes amis plutot qu'avec cette famille qui acquiesce de la violence pour "éduquer" les enfants comme initialement prévu.
Et comme j'ai la grande chance d'avoir le choix, je plie bagage et rentre. Bien entendu le tour du monde continuera comme planifié à partir du 10 janvier.
Finalement, je ne veux en aucun cas généraliser à tous les haitiens les comportements que je décris parce que j'ai rencontré de nombreuses personnes attachantes et gentilles et que, comme à l'accoutumée c'est toujours les dérapages d'une minorité qui font du tort à la majorité. Mais cela me laisse quand même un vieux gout amer sur lequel je reviendrai.
Pour conclure, je suis et reste sincérement triste pour ces enfants que je connais et qui, ayant déjà une situation si précaire, se voient encore inculqués à leur insu de telles valeurs pour guider leurs pas. Cette violence qui ne les quittera certainement jamais et qu'ils propageront plus loin malgré eux.
Finalement, je ne veux en aucun cas généraliser à tous les haitiens les comportements que je décris parce que j'ai rencontré de nombreuses personnes attachantes et gentilles et que, comme à l'accoutumée c'est toujours les dérapages d'une minorité qui font du tort à la majorité. Mais cela me laisse quand même un vieux gout amer sur lequel je reviendrai.
Pour conclure, je suis et reste sincérement triste pour ces enfants que je connais et qui, ayant déjà une situation si précaire, se voient encore inculqués à leur insu de telles valeurs pour guider leurs pas. Cette violence qui ne les quittera certainement jamais et qu'ils propageront plus loin malgré eux.
Enfin voilà. Sur ce, je me réjouis de vous revoir d'ici quelques jours en terres helvétiques.
Coucou Nico !
RépondreSupprimerCoup dur dis !
Mais je crois que cette expérience n'est que la première...
Si on réfléchit un peu, peut-on blâmer ces enfants qui te demandent de l'argent? Pourquoi t'en demandent-ils ?
Eh bien car des touristes avant toi ont donné 1 dollar, 2 dollars, 5 dollars... donc un nouveau touriste débarque et qu'est ce qu'on lui demande ? ben de l'argent ! Ca semble assez logique.
Nico, c'est notre faute ça !!! "Notre" = nous les touristes occidentaux qui croyons sauver le monde en donnant 2 dollars !!!!!!!!!!!!!!
Je peux te dire que rien ne m'a plus fait hurler de tout notre voyage que cette façon qu'on les "blancs" de se déculpabiliser face à cette pauvreté.
Tu verras qu'ailleurs on te demandera des bonbons et des crayons. C'est pareil, donner c'est provoquer la mendicité...est-ce vraiment les aider ?
Aider c'est compliqué, tu avais trouvé un joli compromis en y allant toi-même. Mais à nouveau, est-ce que aider c'est pas comme donner?
Cela n'en devient-il pas un dû ?
Y a matière à réflexion...et je pense que t'es pas au bout de tes peines...
Rentre en te disant tout de même que c'est leur culture et qu'ils ont choisi de vivre ainsi avec de telles coutumes.
Nos coutumes à nous ne faisant pas office de références pour le monde entier. On aura probablement l'occasion d'en discuter :-)
J'espère qu'on pourra se croiser d'ici le 10 :-)
Bon retour et belles fêtes avec ta famille ! Profite des coutumes suisse et du chocolat !!!!!!!!!!!
Gros becs
Caro
Hello Caro !
RépondreSupprimerConcernant l'argent que les enfants demandent, je suis tout a fait d'accord que c'est de la faute du touriste qui donne (meme si celui-ci est mu par de bonnes intentions).
Apres, je voulais introduire cette idee que donner est nefaste mais progressivement afin d'eviter de braquer certains esprits contre cette verite qui parait impensable. Surtout que la delimitation d'un cadre de validite me semble egalement necessaire (enfin on pourra en discuter ^^).
En y allant moi-meme, je voulais plutot mettre a disposition ce qui pouvait leur etre utile mais sans savoir quoi. Et ce qu'il manque c'est la structure et la rigueur necessaire pour mener a bien un projet, quel qu'il soit. Des lors, le but etait et est de les inspirer, de leur montrer qu'en s'entre-aidant et en mettant la main a la pate, on arrive a faire evoluer les choses pour le bien de tous et surtout, SURTOUT (en majuscule soyons fou - en plus ca rime-), sans une quelconque aide exterieure.
Car sinon, comme tu dis, les dons deviennent des dus rendant tout le monde minimaliste car sachant que le prochain arrivera tantot.
Mais y a de quoi discuter :-D, d'ailleurs faudra se redire avant le 10 en effet.
Merci en tous cas et bonnes fetes a toi aussi !
Biz
Nico
Il est normal d'avoir des réactions comme cela quand on est finalement quand même opprimé. N'ayons pas peur des mots. Ces gens ont toujours été marginalisés et exploités sans vraiment obtenir quoi que ce soit en retour. De plus ils sont en situation délicate dans un pays ou tout est à refaire avec pour avenir uniquement l'inconnu.
RépondreSupprimerMais il est également triste de voir à quel point le potentiel des gens qui viennent aider n'est pas compris. Haïti se remet de la catastrophe avec une lenteur effarante. Evidemment, on ne peut pas comparer avec la situation japonaise, mais faire fuir les aides extérieures c'est se tirer une balle dans le pied.
Nous avons certes des visions différentes et une éthique qui varie, notamment liée à la violence. Nous sommes confrontés à ces différences de visions tous les jours, même chez nous. Mais même si tu es persuadé qu'on peut corriger la situation sans aide extérieure (mais alors en combien de temps et avec combien de morts par épidémie?), il ne faut tout de même pas tirer sur l'ambulance.
Je pense en effet qu'il ne faut pas tirer sur l'ambulance car certains projets et ONG sont indispensables, comme celles qui réalisent des campagnes de vaccination massives ou apportent des soins médicaux, mais si on continue la métaphore il faut absolument controler les papiers du chauffeur et les certificats d'aptitude des infirmiers à bord. J'entends par là que pour beaucoup d'ONGs, le monde humanitaire est devenu un business à part entière avec toutes les dérives que cela implique. Grâce aux dons, beaucoup de personnes obtiennent des postes importants avec de hauts salaires alors que d'un autre côté la stratégie des actions sur le terrain est négligée induisant ainsi plus d'effets négatifs que positifs.
RépondreSupprimerLes containers offerts par Digicel à Haïti pour servir d'école en est un exemple. Containers achetés aux US, transportés certainement par des bateaux américains et non adaptés pour l'enseignement. Au final, aucun argent investi en Haïti et un outil inadapté.
Autre exemple, les campagnes de distribution de nourriture. Cela fausse totalement l'économie locale car elles sont une concurrence directe pour les marchants de fruits et légumes qui ne peuvent dès lors écouler leur marchandise et récolter l'argent qui les fait vivre. C'est quasiment valable pour toutes les donations de biens matériels (exceptés les médicaments, quoique, et les vaccins).
Donc c'est pour ça que je dis qu'une telle aide extérieure n'est pas utile. Mais j'aurais dû préciser que je parlais de ce genre d'aide, même si elle constitue à mon avis la majorité.
Concernant la reconstruction, c'est en effet incroyable la lenteur qu'elle a. Quant à connaitre la ou les raisons, difficile à dire. Mais on en discutera :-)
Cher Nico,
RépondreSupprimerQue dire...difficile de trouver les mots justes...si ce n'est que ton article m'a beaucoup touché, certainement car il fait écho à certains souvenirs...
Je me réjouis qu'on en discute autour d'une bière quand on aura tous fini d'arpenter le monde...
Profite bien de tes derniers moments en Suisse...et tu verras après c'est que du bonheur :)
Des becs
Cynthia (à Greg)
Merci Cynthia. Et très volontiers pour en discuter. ça permettra aussi de comparer nos photos ^^
RépondreSupprimerBonne suite de voyage !
Nico